1. Historique

Après les grandes années 1947 et 1949, le vignoble angevin aborda une décade moyenne. Pour deux années convenables : 1953,1955, il eut 4 années moyennes : 1950,1952,1954,1957, et trois très petites années : 1951, 1956 et 1958.
Faut-il rappeler qu’en ce temps-là, les petites années l’étaient vraiment. 
La fermentation malolactique était encore discutée par bon nombre de producteurs de vins rouges. Il n’en était pas question sur les blancs : ni le principe, ni la pratique ne l’autorisaient.
Le vigneron angevin voyait sa clientèle l’abandonner. Les amateurs rejetaient les vins blancs qu’on leur proposait. S’ils étaient secs, les trouvant trop acides. S’ils étaient doux, parce qu’ils n’étaient pas aussi bons que les archétypes 1947 ou 1949.
Le marché des vins blancs était au point mort.
La vigne elle-même ne se portait guère mieux. Les gelées d’hiver de février 1956 avaient dans certains secteurs, décimé le vignoble. Après 1955, une seconde gelée de printemps anéantissait les espoirs de récolte, au matin du 8 mai 1957.
Cette période avait d’autres caractéristiques. C’était la fin de l’ère du cheval dans le vignoble et le machinisme posait de multiples problèmes. Tracteurs à roues ou à chenilles ? 
Tracteurs interlignes ou enjambeurs ? Que choisir ? La puissance de labour n’allait-elle pas entraîner dans les coteaux un accroissement de l’érosion ? Que penser du tassement des sols avec ces lourdes machines ? Était-il prudent de traiter avec un tracteur : les produits chimiques pulvérisés ne seraient-ils pas nocifs pour la mécanique ?
Le soufre et la bouillie bordelaise régnaient encore, continuant dans les sols primaires angevins, une action d’acidification néfaste presque séculaire.
Informés des travaux entrepris en Gironde vers 1952, par le CETA (Centre d’Études techniques Agricoles ) de Cadillac, présidé alors par Monsieur Jean PERROMAT (frère de Monsieur Pierre PERROMAT, ancien président de l’INAO), les vignerons angevins se réunirent également en CETA . 

A chaque problème cultural, une solution fut envisagée et expérimentée…

1. Eviter les gelées de printemps.

Donc établir le cordon fruitier à un niveau supérieur : 1,10 m.

2. Refaire la structure du sol par l'enherbement.

Donc prévoir un écartement interligne suffisant pour que l’herbe ne favorise pas les gelées de printemps en étant trop proche des bourgeons.
Souvent l’intervalle du double rang fut retenu : de 3,40 à 4,00 mètres. La pousse de l’herbe doit recréer un milieu biologique vivant et accroître l’humus du sol. La fumure minérale servira à faire pousser l’herbe qui fournira milieu vivant et humus au fil des ans.

3. Garder les possibilités de fumure traditionnelle.

Un rang sur deux est enherbé. Ce qui permet l’apport d’engrais, voire de fumier dans le rang labouré.

4. Eviter le compactage du sol :

Pour cela tous les 3 ans, le rang enherbé est labouré. L’enherbement est fait avec un Ray-Grass d’Italie, au système radiculaire très divisé. A sa destruction par le labour, la décomposition des racines joue le rôle d’un laboureur sous-soleur.

5. Bénéficier d'un inter-rang porteur quel que soit le temps.

Le rang enherbé remplit ce rôle. Il permet de traiter aussitôt après la pluie ( nous sommes en climat océanique) ou après un gros orage.

6. Avoir un mode de conduite propice à la motorisation.

Un grand écartement autorise l’emploi de matériel agricole ordinaire.
Il permet d’obtenir la même stabilité avec un tracteur normal à roues qu’avec un tracteur à chenilles étroit. En cas de vignoble à parcellaire dispersé. Le tracteur à roues a un avantage primordial sur le tracteur à chenilles : il peut se déplacer sur route.

7. Travailler avec un maximum de sécurité, objectif incontournable si on emploie du personnel.

A cette époque, le vignoble ayant 1,70 m d’écartement était palissé à un fil.
Sans correcteur de dévers, le tracteur enjambeur donnait à son conducteur l’occasion de dominer le vignoble, mais pas toujours sa peur.
Le tracteur vigneron-interlignes à chenilles, fort onéreux d’achat et d’entretien était plus sécurisant. Mais pour un vignoble dispersé, peu praticable, nous l’avons vu.
La vigne large permettant une motorisation avec un tracteur à empattement normal était une solution.

C’est donc vers les années 1960 que les vignes larges s’implantèrent dans le vignoble angevin.

A cette époque, les promoteurs n’ont pas voulu seulement ajouter les connaissances et les technologies modernes à leur façon de cultiver la vigne, mais les intégrer dans un mode de conduite cohérent et logique, qui s’est avéré différent du système existant.
C’était ” un nouveau vignoble “qui s’installait.
On le considéra avec curiosité. Il eut son heure de célébrité dans les médias et les milieux professionnels viticoles. Parce qu’il était un système global – une véritable philosophie de la culture de la vigne – il demandait à son adepte de reconsidérer l’ensemble de son comportement vis à vis de la vigne. Aussi son expansion fut très modérée. Le pas à franchir pour accéder à ce système était vraiment un grand pas ! Il y eut des essais parcellaires particuliers mais souvent en oubliant un des points essentiels de la réforme. Ce qui ne satisfit qu’à demi les utilisateurs.

Et puis arriva le désherbage !

Vers 1970, les désherbants, en conduisant à la pratique de la non-culture, ont à leur tour, permis le passage des instruments lourds, même en période humide. Ils ont supprimé le labourage : le tracteur est devenu un simple véhicule de traitement.
Alors que les vignes larges étaient un système global de remise en cause des pratiques culturales nécessitant une réflexion approfondie et une certaine maîtrise du métier, le désherbage n’était qu’une simple technique. D’ailleurs d’autant plus facile à pratiquer que la vulgarisation fut abondamment faite par les fabricants de désherbants.
La progression des vignes larges en fut stoppée. On leur appliqua dans certains cas, le même désherbage qu’aux vignes étroites et il est sûr que parmi les vignerons qui n’avaient considéré que le côté mécanisation par exemple, un certain nombre regretta de s’être laissé entraîner à l’arrachage d’un rang sur deux.
Le désherbage complet, en favorisant un chevelu racinaire près du sol, c’est à dire dans la zone d’action immédiate des fumures superficielles, déstabilise sans doute la vigne vis à vis de son terroir profond. Cette incidence sur la production d’un vin d’AOC est peut être plus importante que la notion de densité prise isolément. Mais personne ne s’en préoccupa. On salua avec bonheur cette solution de facilité.
C’est plutôt du côté des écologistes que vinrent les critiques :
accumulation de produits dans le sol, inversion de flore et destruction du milieu naturel. On assiste depuis quelques années à un accroissement des réticences envers le désherbage.
L’enherbement permis par les vignes larges n’a pas les aspects négatifs du désherbage. Tout au contraire.

Après l’extension du désherbage, ne restèrent en lice que ceux qui croyaient dans le système : un noyau de “fidèles”.

Depuis 20 ans, ils ont observé les résultats, se sont tenus au courant des essais entrepris ici où là . En visitant le monde, là où est déjà la concurrence d’aujourd’hui, ils se sont aperçus que la France était un des rares pays à être restée avec un mode de culture du passé alors que tout l’environnement avait changé. Ils n’ont pas eu comme objectifs de produire du vin AOC à moindre mal, à moindre coût et en plus grande quantité. Ils ont recherché le progrès.

1. L'écartement :

Pour les vignes larges, les résultats obtenus non seulement dans les champs d’expérience et par Monsieur Remoué, Ingénieur de la Station Viticole de l’INRA à Montreuil-Bellay à cette époque, mais aussi en grandeur nature dans les vignobles privés (environ 1000 hectares) ont conduit les viticulteurs à stabiliser l’écartement entre chaque rang à trois mètres.
En Anjou, cet écartement est suffisant et nécessaire pour l’établissement de l’enherbement sans effets secondaires, pour le passage d’un matériel à empattement normal apportant à la fois sécurité pour le personnel et coût normal d’exploitation pour le producteur. Ce n’est pas une norme arbitraire. Elle résulte de plusieurs décennies d’études du problème.

2. La hauteur :

Parce qu’entre 1957 et 1981, il n’y eut pratiquement pas de gelées de printemps et afin d’être au même niveau que les vignes anciennes, la hauteur des branches fruitières fut abaissée. Pour les Chenins, notamment, la hauteur retenue fut d’office 50/55 cms.

3. La distance :

La distance à retenir doit être essentiellement liée à la vigueur des ceps. Celle-ci dépend entre autres du cépage, du porte-greffes, de la richesse du sol, etc… Elle peut être choisie en fonction du sytème de taille et de palissage et en dehors d’essais limites, se tient selon les situations entre 70 cms et 1,20 m.
Il ne faut pas oublier qu’en viticulture, la maîtrise du parcellaire est indispensable. Pour la qualité, c’est là, au niveau de la parcelle que le choix des techniques se fait en premier lieu. C’est là que doit se décider la distance entre pieds.
Il semble que la distance sur le rang puisse en de nombreuses situations (notamment dans les sols maigres de coteaux angevins) être abaissée à 0,80 mètre sur le rang, voire 0,70 mètre, sans que cela entraîne un entassement de la végétation, si le palissage est adéquat.

Une distance de 0,70 m sur le rang alliée à un écartement de 3 mètres entre rangs amène à une densité de 4760 pieds à l’hectare.

4. Le palissage :

La disposition aérienne de la végétation attira vite l’attention des vignerons angevins.
Par l’expérimentation grandeur nature conduite durant des décennies, ils ont appris que l’écartement et la densité de plantation n’étaient que des éléments de “la géométrie de plantation” et que la notion de “surface foliaire exposée utile ” devait lui être liée. Ce sont les remarquables travaux d’Alain CARBONNEAU, chercheur INRA à l’Institut de la Vigne de Bordeaux qui ont mis en avant ces éléments importants.
Avant que ceci ne soit mis en forme par l’INRA ( Institut National de la Recherche Agronomique), les vignerons angevins ont eu l’intuition que cette thèse était bonne et porteuse de qualité pour le vin, en développant le palissage.

Les feuilles sont les ouvrières de la vigne et les viticulteurs en vignes larges les étalent de plus en plus au soleil et à l’air.
Une surface foliaire de plus de 6000 mètres carrés à l’hectare (Carbonneau ) est un objectif qui peut être atteint grâce à un palissage excédant plus de 2 mètres de hauteur, couramment pratiqué ici.

5. Le contrôle de l'enherbement.

Enfin, dernier facteur développé, et non des moindres en climat océanique : c’est la régulation de l’eau mise à la disposition de la vigne par le contrôle de l’enherbement. Il suffit de gyrobroyer l’herbe pour pallier aux effets d’une sécheresse qui se prolonge. Ou bien au contraire de la laisser se développer pour la mettre en concurrence avec la vigne et ainsi permettre une maîtrise hydrique qui peut intervenir dans le phénomène de migration des sucres vers les raisins.

En conclusion, on peut dire que depuis le début, les viticulteurs en vignes larges sont restés dans le cadre de la production du vin d’appellation d’origine contrôlée. Que ce soit dans les domaines de la délimitation, de l’encépagement, des rendements.

Si leur recherche leur a fait adopter un écartement plus grand, ce n’est pas dans le but d’augmenter les rendements ou de changer l’expression du terroir à travers le vin produit. Le vin de leur production a toujours fait honneur à l’AOC : les récompenses obtenues aux concours — de tous niveaux — le prouvent.

Tout au contraire, avec le long terme dont ils ont pu disposer, ils ont amélioré la structure du sol, lui restituer un potentiel biologique et agronomique suffisant.

Ils savent que le patrimoine qu’ils ont reçu a été non seulement maintenu mais accru.
Ils ont assuré la pérennité du vignoble d’appellation d’origine contrôlée dont ils ont eu la charge.

Ils ont le sentiment d’avoir été “fidèles” au vin d’appellation d’origine contrôlée en poursuivant une finalité essentielle de celle-ci : le MAINTIEN du TERROIR viticole.

2. Notre position

Revenons un demi-siècle en arrière.

En 1953, Jean BAUMARD prépare à la Faculté des Sciences de Bordeaux, un certificat de Chimie Agricole-Œnologie et suit les cours des Professeurs Louis GENEVOIS et Jean RIBEREAU-GAYON.

Sur les mêmes bancs, un jeune ingénieur chimiste devenu vigneron, René MAZEAU, est son ami. Il dirige à Targon, une magnifique propriété de l’Entre Deux Mers : Toutigeac, et fera deux ans plus tard, partie du CETA Viticole évoqué plus haut, au début de l’Historique.

C’est le lien qui nous fait découvrir le nouveau mode de conduite des vignes hautes et larges.

Depuis 1958, notre vignoble adopte ce système de conduite. Personne n’a pu expliquer ou constater scientifiquement qu’il est moins bon pour la qualité que le système hérité de l’ère du cheval.

Pourtant, nous avons dû subir depuis que Monsieur Pierre PERROMAT a quitté la présidence de l’INAO, une pression quasiment constante pour l’abandonner.

C’est un phénomène qui s’apparente à celui de la « rumeur ».
Il est véhiculé par un certain nombre de viticulteurs et de techniciens, parfois très influents ou très hauts placés dans les Administrations ou les enceintes professionnelles.

L’enseignement viticole secondaire est ordinairement (et de façon primaire) contre. Au mieux, il n’en parle pas.

Les arguments avancés n’ont jamais été convaincants. Un des plus entendus se base sur l’effet négatif que le système pourrait avoir sur les paysages viticoles . Ce qui est inexact mais produit toujours un effet simple de rejet sur l’auditeur. Pourtant, nos vignobles sont recherchés des photographes.

En tous cas, jamais aucun consensus scientifique n’a établi que notre façon de procéder était moins valorisante que le système du XIXème siècle.

 

Mieux même, si on lit les études réalistes des viticulteurs bourguignons qui l’ont adopté, on s’aperçoit que les VHL sont les plus adaptées au développement durable qui est un des objectifs de notre temps.

Pour notre part, nous avons œuvré pour le défendre, lors de la parution du décret « Anjou Villages » qui avait éliminé in fine les vignes présentant un écartement de plus de 2 mètres 439 entre les rangs, du bénéfice de cette nouvelle appellation de vin rouge. Un recours en Conseil d’Etat fut déposé qui abrogea le décret, pour un vice de forme. L’INAO s’empressa de le faire promulguer une seconde fois, mais une Commission vint prendre en compte nos réclamations et aboutit à un décret du 2 décembre 1996, qui aurait dû mettre un point final à cette offensive anti-vignes hautes et larges, pour la région angevine.

Il n’en fut rien .Moins de sept ans après, à la faveur d’un décret créant une nouvelle appellation angevine, avec une mention de Cru, le problème est à nouveau résolu de façon dogmatique (ou doctrinaire, au choix) par l’INAO . Toute vigne désirant prétendre à cette AOC doit avoir une densité de plantation minimale de 4500 pieds à l’hectare.

Ce qui exclut les vignes hautes et larges.

Souhaitons que l’UNION NATIONALE DES VIGNES HAUTES ET LARGES qui a été créée au printemps de 2003 et qui regroupe plus de 40000 hectares de vignes en Bordelais, en Bourgogne, dans le Jura et en Anjou, prenne suffisamment de poids pour qu’on ne rejette pas dans la France viticole d’en bas, voire carrément dans les ténèbres extérieures, tout un vignoble sous un prétexte de « doctrine » non fondée sur le plan agronomique.

Il conviendrait, avec l’aide des médias, qu’un courant d’opinion s’établisse afin que le vignoble français de qualité puisse bénéficier du progrès autant que les autres vignobles du monde entier qui sont nos concurrents.